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Qualifié
tantôt de "tour romaine",tantôt de "forteresse des comtes de Forcalquier",
le puissant donjon qui occupe le centre du château a pu passer pour
l'édifice éponyme de La Tour-d'Aigues. Cette opinion ne résiste pas à
l'analyse archéologique de la construction et de son site d'implantation. Le
château est en effet situé à l'écart du village, sur un élément de relief
autonome, aujourd'hui masqué par les terrassements des XVe et XVIe siècles,
mais dont on peut imaginer la configuration naturelle grâce aux relevés des
sous-sols et des conduites forcées des moulins aménagées sous la place
Jean-Jaurès. Cette dernière résulte, semble-t-il, du comblement d'un petit
vallon qui séparait autrefois le village du donjon établi sur un mamelon
rocheux (encore partiellement visible) autour duquel furent probablement
creusés les premiers fossés défensifs. Une telle disposition ne correspond
évidemment pas à ce qu'on attend d'une fortification seigneuriale ayant
donné naissance à une agglomération et dont l'emplacement doit être cherché
au point de départ du développement urbain. C'est dans le noyau initial du
village, dans le quartier dit du Château vieux, qu'il faut placer la turris
Barangarii mentionnée dans un acte de 1018. Coincé entre le rebord escarpé
de la falaise et les constructions serrées de l'agglomération, ce premier
château fut par la suite abandonné faute de pouvoir s'agrandir et remplacé
par le donjon de l'actuel édifice.
On trouve là un exemple remarquable par sa précocité d'un phénomène peu
fréquent: les autres cas connus de déplacement de la résidence seigneuriale
(Lourmarin, Villelaure, Grambois, Cucuron, Vitrolles, Sannes) intervinrent
dans un tout autre contexte, celui de la progressive démilitarisation des
demeures nobles à partir de la Renaissance. A quelle date eut lieu ce
transfert à La Tour-d'Aigues? La vraisemblance invite à situer l'événement à
l'époque du grand développement de l'architecture castrale, donc pas avant
la fin du XIIe siècle ; l'histoire suggère pour sa part de le faire
coïncider avec l'établissement à La Tour-d' Aigues de la puissante dynastie
des Sabran, au début du XIIIe siècle; l'examen des vestiges conservés
l'amène plus bas encore dans le temps, vers le début ou le milieu du XIVe
siècle. La lignée des Sabran de La Tour d'Aigues s'étant éteinte dans le
premier quart du XVe siècle, le château et la seigneurie échurent à Fouquet
d'Agoult. Celui-ci était alors très jeune, mais, héritier d'une illustre
famille, profita des perturbations économiques de son époque et des
largesses des comtes de Provence, notamment du roi René, dont il fut le
chambellan et l'ami, pour amasser une fortune foncière (plus de trente
seigneuries) et mobilière considérable avant de mourir presque centenaire en
1491.
On ignore bien entendu dans quel état Fouquet trouva le château lorsqu'il en
prit possession vers 1420, mais il ne fait pas de doute qu'au cours de sa
longue existence, il y fit faire d'importants travaux. L'inventaire de sa
succession dressé en 1491 lui attribue nommément la construction des deux
tours rondes situées aux angles nord-ouest et nord-est. Il faut par ailleurs
mettre à son actif les gigantesques travaux hydrauliques qui drainèrent
l'eau des sources de Mirail et des Hermitans par l'intermédiaire des étangs
de la Bonde et de La Tour d'Aigues jusqu'aux douves du château et aux
moulins établis en contrebas. Fouquet d'Agoult fut en effet le premier
seigneur à disposer des moyens financiers et, surtout, juridiques, par la
possession simultanée des seigneuries de La Tour, Cabrières, La Motte,
Saint-Martin et Peypin-d'Aigues à partir du milieu du XVe siècle,
nécessaires à cette réalisation. Un tel ouvrage donne la mesure des
capacités et de l'ambition du baron de La Tour d'Aigues, dont la demeure
accueillit, si l'on en croit les noms donnés à deux des chambres du château
en 1491, les souverains provençaux. A partir de là, on peut avec
vraisemblance faire de Fouquet d'Agoult le promoteur de l'édifice actuel: à
son instigation, le grand plan orthogonal, obtenu par l'adjonction au corps
de logis oriental de deux ailes en retour au nord et à l'ouest, et les
larges douves qui, dès 1491, entouraient l'ensemble sur trois côtés,
auraient dans le courant du XVe siècle remplacé un plan initial peut-être
moins vaste et moins régulier et les fossés secs du château médiéval.
A Fouquet d'Agoult, mort sans héritier direct légitime, succéda son neveu
Raymond d'Agoult. Celui-ci se borna, semble-t-il, à parachever l’œuvre de
son oncle par quelques réalisations de détail; construction d'un nouveau
cellier, achèvement de la chapelle neuve, complément d'ameublement. Après
son décès en 1503, un nouvel inventaire fut rédigé, qui, confronté à celui
de 1491, permet de retracer un schéma de l'édifice sans doute imprécis mais
suggestif et incontestablement précieux en l'absence de tout autre moyen
d'information. A la fin du XVe siècle, le château de La Tour-d'Aigues
présentait, à peu de chose près, l'étendue et la disposition qu'on lui voit
encore. Protégé sur trois côtés par des douves, il surplombait à l'est,
dominant le cours de l'Eze, une falaise qu'il avait fallu parementer et
soutenir par des ouvrages dont il reste quelques vestiges dans les caves de
la terrasse ajoutée par la suite. L'accès se faisait du côté méridional par
un pont (probablement un pont-levis) jeté sur le fossé. A l'intérieur du
quadrilatère ainsi défini, les bâtiments formaient quatre ailes; une aile
centrale et trois ailes latérales est, nord et ouest, reliées les unes aux
autres, entourant une grande cour au sud et une petite cour ou ciel-ouvert
au nord...
A la mort de Raymond d'Agoult, l'héritage, faute de descendant, fut partagé
entre des collatéraux: la sœur aînée de Raymond, Louise d'Agoult, veuve de
Claude de Montauban, hérita du nom et des seigneuries de Sault et de
Lourmarin; la cadette, Jeanne, étant décédée avant 1503, l'autre part,
comprenant La Tour-d'Aigues et sa vallée, revint au fils de cette dernière,
François de Bouliers, vicomte de Reillanne. François de Bouliers mourut
prématurément en 1511, laissant un fils, André, et une fille, Françoise, qui
reçut en 1521 de son grand père la baronnie de La Tour-d'Aigues sous
condition d'épouser son petit-cousin Antoine de Bouliers, héritier de la
branche aînée des seigneurs de Cental et de Demont. Françoise et Antoine de
Bouliers vécurent peu: décédés l'une en 1533, l'autre en 1537, ils ne
laissaient qu'un fils, Jean-Louis-Nicolas, né en 1532, qui fut élevé par sa
grand-mère paternelle, Mérite de Trivulce. De 1503 à 1550, date des premiers
travaux entrepris par Jean-Louis-Nicolas, on manque de renseignements
touchant le château. Il semble bien que durant cette période l'édifice ait
perdu l'animation qu'il avait connue auparavant. Des trois prédécesseurs de
Jean-Louis-Nicolas, le premier n'était qu'usufruitier et paraît avoir
surtout résidé à Reillanne; les deux autres moururent jeunes, après une
carrière essentiellement consacrée aux guerres d'Italie. Le dernier,
Antoine, accueillit cependant le roi François 1er à La Tour-d'Aigues en
1537.
S'il y eut des travaux à cette époque, les archives notariales n'en portent
pas trace et continuent à mentionner les anciens appartements, chambre "du
Roi", salle "des Cerfs", etc. La grand-mère et tutrice de Jean-Louis-Nicolas
fut peut-être plus active. Cette femme de caractère, qui géra seule, durant
plus de dix ans, un patrimoine considérable et prit l'initiative du procès
intenté aux responsables de l'expédition contre les Vaudois en 1545, exerça
probablement, par l'éducation qu'elle donna à son petit-fils et par son
administration prévoyante, une influence déterminante pour l'avenir.
Jean-Louis-Nicolas avait à peine treize ans lorsque Mme de Cental, ainsi que
l'appelaient ses contemporains, inaugura une série d'achats de parcelles,
bâties ou non, contiguës (à l'est) au château. Émancipé et envoyé à la cour
de France en 1548, Jean-Louis-Nicolas de Bouliers découvrit les grands
châteaux d'Ile-de-France et s'enthousiasma pour l'architecture nouvelle. Dès
son retour à La Tour-d'Aigues en 1550, il entreprit de transformer et de
moderniser la demeure de ses aïeux et ouvrit un chantier qui allait durer
plus de vingt-cinq ans. La récente thèse de J.-J. Gloton a bien montré à
quel point, de 1550 à 1573, les réalisations de Pierre Lescot au Louvre et
de Bullant à Écouen avaient marqué le goût de Jean-Louis-Nicolas et influé
sur la conduite des travaux.
Jean-Louis-Nicolas de Bouliers mourut le 26 septembre 1584 sans descendance
et sans héritier désigné. A la faveur des guerres de la Ligue, plusieurs
prétendants à la succession se disputèrent son héritage, occupant tour à
tour le village et le château. Chrétienne d'Aguerre, veuve de François-Louis
d'Agoult-Montauban, descendant direct de Louise d'Agoult, parvint à
s'imposer et transmit ses droits à son fils, né d'un premier mariage,
Charles de Créquy, devenu par son mariage duc de Lesdiguières. Les
descendants de ce dernier, François (mort en1638), François-Emmanuel
(maréchal de France, mort en 1687) et Jean-François·Paul (mort en 1703)
vinrent à bout des ultimes contestations, closes en 1655 seulement, et
firent du château l'une de leurs résidences préférées. On connaît, par le
récit qu'en fit un hôte et témoin, en 1675, l'ambiance galante et mondaine
des séjours estivaux des ducs de Lesdiguières. On sait aussi que le château
accueillit le cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, en exil. Les
textes restent en revanche très discrets sur les travaux et aménagements
exécutés à cette époque, que l'analyse archéologique et quelques documents
postérieurs permettent seuls d'entrevoir. L'héritage du dernier duc de
Lesdiguières, mort sans postérité, revint en 1718 à son cousin Louis-Nicolas
de Neufville, duc de Villeroy, qui s'empressa d'en vendre une partie pour
régler les dettes de la succession. C'est ainsi que, moyennant la somme de
900000 livres, un armateur marseillais anobli, Jean-Baptiste Bruny, acquit
le château et la baronnie de La Tour-d'Aigues le 7 juillet 1719.
Le nouveau seigneur, immensément riche; il possédait à Marseille un comptoir
commercial très actif, deux savonneries et un vaste hôtel particulier,
quelques bastides de rapport et la seigneurie et château de Saint-Cannat (Bouches-duRhône),
entreprit aussitôt la remise en état de l'édifice vidé de la majeure partie
de ses meubles et demeuré inhabité depuis une quinzaine d'années au moins.
Jean-Baptiste Bruny mourut en 1723 sans avoir fini son programme de
rénovation. L'inventaire mobilier dressé le 14 juillet 1723 à la demande de
son fils aîné et héritier François témoigne de cet inachèvement et de la
nature des travaux exécutés, qui portèrent essentiellement sur la décoration
intérieure et l'ameublement. L'acte énumère et décrit 22 pièces, toutes
situées dans l'aile orientale, l'aile septentrionale et le corps de logis
contigu au donjon. En pleine gloire, le château subit une première atteinte
grave. Au mois d'octobre1780, lors de travaux de réfection de la toiture, un
ouvrier provoqua accidentellement un incendie qui, en une nuit et malgré les
secours empressés des villageois, ravagea en partie l'aile occidentale et le
donjon. Les dégâts, considérables, n'étaient pas encore totalement réparés
lorsque débuta la Révolution. L'inventaire de 1790 contient une grande
lacune correspondant aux parties endommagées et signale des meubles et des
boiseries arrachés au feu et entreposés dans la grande salle, le
garde-meuble et les caves. Jean-Baptiste-Jérôme Bruny avait été un farouche
tenant de la réaction seigneuriale.
Élu maire de La Tour-d'Aigues aux élections municipales de février 1790, il
fit quelques efforts pour se résigner à l'abolition des droits féodaux et
déchira publiquement ses titres rachetables, mais sa réputation était faite.
Aussi les républicains du club révolutionnaire de La Tour·d'Aigues qui, au
retour d' une visite au club d'Aix, vinrent attaquer le château le 14
septembre 1792 ne rencontrèrent-ils aucune résistance, ni de la part des
gardiens, le baron étant absent, ni de la part des autorités municipales
débordées par le nombre des assaillants. Saccagé et pillé, l'édifice fut
incendié et brûla durant cinq jours et cinq nuits. Les ruines servirent
ensuite de carrière de pierre. Jean-Baptiste-Jérôme, refusant d'émigrer, se
retira à Uzès où il décéda en 1795. Son fils Marie-Jean·Joseph mourut dans
la misère à Rouen, en 1800, et sa fille Pauline, épouse du marquis de
Caumont, recueillit l'héritage qu'elle vendit morceau par morceau avant de
s'éteindre à Aix en 1850, sans enfant. Les vestiges du château et les
jardins furent partagés en deux lots et transformés en exploitations
agricoles. En dépit de sa célébrité, le monument ne bénéficia que très tard
de mesures de protection. Le classement parmi les Monuments historiques de
la façade et du donjon, intervenu en 1883, faillit être révoqué à la demande
des propriétaires et il fallut de longues tractations pour obtenir de ces
derniers la cession des ruines au Conseil général de Vaucluse, en 1897.
Depuis cette date, malgré plusieurs campagnes de nettoyage et de
consolidation et l'extension du classement aux terrasses situées sous le
château, les vestiges n'ont cessé de se dégrader.
Le Conseil général et le syndicat d'initiative ont récemment fait dégager
les importants sous-sols de l'édifice et mis à l'étude un projet de
restauration partielle. Les fouilles ont permis de trouver un abondant
matériel, dont une partie correspond à des objets signalés dans les textes:
tuiles vernissées du XVIe siècle, ardoises, baignoire et médaillons en
marbre, vaisselle de faïence et de porcelaine du XVIIIe siècle. L'édifice
est formé de quatre corps de bâtiment cantonnés au nord de tours rondes, au
sud de pavillons et disposés autour d'une cour dont le centre est occupé par
un donjon, le tout entouré de douves (aujourd'hui sèches); donjon
rectangulaire parementé à bossages, contenant primitivement trois étages
voûtes, les deux premiers remplacés par un rez-de-chaussée voûte et deux
étages carrés planchéiés ; autour du donjon, vestiges d'un corps de bâtiment
adossé au nord et de deux petites ailes latérales, celle de l'est contenant
un grand escalier rampe sur rampe; au sud de la cour, corps de passage
d'entrée, avec portail en forme d'arc de triomphe, orné d'un riche décor
sculpté, et vestiges de deux galeries voûtées d'arêtes sur un sous-sol voûte
construit dans l'ancienne douve; au sud-est, pavillon (restauré) de trois
étages de soubassement et deux étages carrés, desservi par un escalier en
vis; au nord-est, tour ronde contenant à l'étage la chapelle ornée de
gypseries; autres parties en ruine sur sous-sol voûte partiel (1)
château de La Tour d’Aigues 84240 La Tour d’Aigues, tél 04 90 07 50 33,
ouvert au public 12 mars au 3 juillet tous les jours de 10h à 12h30 et 14h à
18h, du 4 juillet au 4 septembre de 10h à 13h et de 15h à 18h, fermé
dimanche matin et lundi matin.
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